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L'attente et les portes. Un supplément à lire. L’attente et les portes. Un supplément à lire.

lundi 13 février 2017 par Elisabeth

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Marylène est souvent en retard. Je joins son texte à ceux de l’atelier du 11 décembre mais auparavant, je le mets en ligne seul pour les fidèles, ceux qui ont déjà lu les autres textes.

Anamnèse, texte court, trois phrases comme un haïku, souvenir par sensation sur le thème Noël

Le goût du dentifrice trop puissant, me rappela la fraîcheur amer des premières oranges de Noël, à cinq ans, je n’aimais ni les oranges ni me laver les dents.

M. Duras. "10h30 un soir d’été"

Écrire sur l’attente
Quelque part, je sens qu’il va se passer qq chose d’anormal, l’attente

Mon médecin attitré, celle sur qui j’ai compté et qui a pris soin de moi depuis si longtemps, est partie à la retraite, je dois maintenant consulter quelqu’un d’autre, difficulté de trouver la bonne personne, celle qui me prendra en main aussi bien que celle qui vient de nous quitter, nous ses fidèles patients.
Écumer les adresses les plus proches de chez moi, demander conseil aux amies et connaissances. Au téléphone, essuyer les nombreux refus de secrétaires à la voix doucereuse et efficace, pour la (bonne) raison disent-elles, que je ne suis pas sur la liste des patients du Docteur sollicité par moi en toute humilité. Ne pas insister, changer de stratégie. Choisir une Spécialité, mais laquelle ? Dépassements d’honoraires. Changer de cap, hésiter, aller voir du côté des médecins proposés par ma mutuelle. Pointer au hasard le doigt sur la longue liste d’inconnus et inconnues, lequel ? Laquelle ? Un homme, une femme ? D’ailleurs ce prénom c’est masculin ou féminin ? Jouer à pile ou face, ne pas s’énerver, avoir de la chance. Heureusement on peut se faire soigner ici, aujourd’hui et même presque gratuitement, on a la sécurité sociale !
On doit bien trouver des volontaires pour soigner tout le monde, enfin tous ceux qui ont quelques moyens pour y mettre le prix. Préférer un jeune médecin ou un plus vieux comme moi, mais sérieux. Dilettante, s’abstenir. Consulter toutes les listes à portée d’Internet et de téléphone. Opter pour un nom : chinois, arabe, breton, savoyard,suisse, ou de nulle part ? Tirer au sort.
Décider mais avec la complicité du hasard : prénom féminin multiculturel, Sonia. Ce sera donc une femme ; nom double, ça brouille les pistes, et ça rassure, jeune sûrement, comment le savoir ? Enfin le rendez-vous est pris pour la semaine suivante, oui la semaine suivante !
Pas de notoriété, pas de dépassement, bon ou mauvais signe ? Pas loin de chez moi, pas proche non plus. Inconnue de mes amies et voisines si promptes à me donner leurs conseils.
Ma vie sera bientôt entre ses mains, expertes (ou pas).
Comme pour un rendez-vous d’amour, fébrilité naissante, interrogations, doutes. Ne pas oublier, le jour, l’heure, l’adresse, noter dans l’agenda, ne pas être en retard, partir en avance, regarder sur le plan, quinze minutes en vélo, trente cinq à pied. Prendre son temps, une semaine pour retrouver les derniers bilans, une semaine de répit, une semaine pour se préparer, je ne me sens pas vraiment malade mais je m’inquiète de tout ce que mon corps met en alerte, clignotants des petites douleurs de tous les jours, matins difficiles, nuits agitées, mouvements récalcitrants, membre raides.
Enfin j’ai en face de moi l’élue, une jeune femme, grande mince, pâle, cheveux noirs. Elle, l’air un peu sévère, moi, un peu troublée. Elle m’interroge, me palpe, me fait allonger. Mesure, écoute, écoute encore les battement du cœur, recommence, m’interroge à nouveau. Calme. Elle semble s’interroger. Inévitablement ma tension monte. Suis-je dans les normes de mon âge ? Ai-je des antécédents personnels ? Familiaux ?
Fin de séance. Elle rédige deux ordonnances, pour deux spécialistes : cardiologue, radiologue et ajoute une liste d’examens comme je n’en n’ai jamais eue. Je prends les ordonnances, les regarde à peine, consciente de mon ignorance dans le domaine et appréhension de ne rien comprendre, je les plie soigneusement et les fourre précipitamment dans mon sac, on verra demain.
Dès le lendemain matin, à jeun, je vais faire faire les examens, trois tubes de mon beau sang rouge sombre sont remplis doucement.
Demain j’aurai les résultats que je ne saurai pas déchiffrer.
Demain la deuxième attente commencera.

Les portes de G Perec dans "espèces d’espaces"

Des murs, des fenêtres et des portes

Les murs ont un âge, l’âge de leurs matériaux, pierre, brique, terre crue, béton ; assemblages savants de bois, galets, sable, chaux, paille, pisé, poutres et poteaux, colombages apparents ou discrètement cachés sous un crépis. Les murs sont lourds, puissants, hauts parfois, remparts contre les envahisseurs, le froid, la chaleur, les vents, les regards. Solides avant tout, ils doivent durer.
Quand ils font façades, ils sont comme des visages qui se présentent au monde.
Ils montrent le passage du temps, parlent des bâtisseurs d’hier, gens ordinaires et architectes savants. Ils cachent et protègent les habitants fortunés ou démunis et, comme eux, ils vieillissent. Ils prennent des rides, se fissurent, se lézardent, jusqu’à devenir lépreux. Alors il faut les rajeunir : "talochages" réparateurs, crépis protecteurs, peintures chatoyantes, ravalements qui rassurent et effacent passagèrement les outrages du temps.
Les fenêtres, au ras des façades, n’ont pour tâche que de s’ouvrir et de se fermer, dormir et s’éveiller, rectangles sombres le jour, illuminés des chaleurs intérieures, la nuit. Elles n’ont rien à montrer, elles sont les yeux de verre du mur qui les enserre. Haut perchées, elles regardent au loin. Au rez-de-chaussée, elles lorgnent le mur d’en face, l’autre côté de la rue.
Si les fenêtres sont souvent indifférentes aux coquetteries Architecturales, les portes de façade, se mettent en scène, font les coquettes, se font remarquer car c’est sur elles que nous devons porter le premier regard, c’est par elles que nous pénétrons dans ce lieu clos qu’est la maison, l’immeuble ou l’hôtel, c’est avec elles que nous changeons de décennies, de siècles et de styles. Les portes se doivent de faire honneur à leur époque, d’être belles, bien faites, joliment peintes ou de bois massif, de métal sérieux, de fonte noire et de verre cathédrale avec impostes ajourées pour laisser traverser la lumière.
Parfois, au centre de la porte, place d’honneur pour une poignée lustrée que nos doigts vont effleurer, laiton reluisant, fonte chantournée ou pour un marteau imposant, un brin prétentieux, à prendre à pleine main, bruyant, pour qui veut se faire annoncer.
Le décor souligne, encadre, creuse et enfle les larges portes d’entrée qui se vantent d’être fiables et accueillantes, à l’image des occupants du lieu. Ni neutres ni standards, elles doivent en imposer, étonner et accueillir, elles sont comme les bras ouverts de la maison.
Pour preuve de savoir vivre supplémentaire, une marquise, légère, plate ou galbée, en forme de coquille ou d’ombrelle transparente, vient se percher au dessus de la porte et assurer un lien discret de l’extérieur vers l’intérieur en abritant simplement le visiteur arrivé sur le seuil du logis. Parfois l’extra se fait plus protecteur encore, semblant sortir de nulle part, du sol ou du ciel peut-être ? Une véranda majestueuse et clairvoyante avance alors en direction du jardin ou de la rue.


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