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Fin de roman Fin de roman

lundi 16 juin 2014 par Dominique M, Elisabeth, Jacqueline, Marie No, Marylène, Myriam, Sabine

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Sabine

Boule au ventre, ces mains qui tremblent, ce cœur qui cogne, cogne …ça recommence. Il faut plonger, j’hésite, j’ai peur. Je suis seule sur cette estrade éclairée d’un seul projecteur. Mes musiciens, anxieux, attendent le signal du chef d’orchestre.
J’attends les premières mesures du violon. Les lourds rideaux damassés de chaque côté de la scène deviennent menaçants. La salle de l’opéra a affiché « complet ». Tous ces mélomanes venus m’écouter chanter se confondent en une énorme masse. Ma gorge est dans un étau… Un lourd silence tambourine sur mes tempes. Une envie folle de m’enfuir me fait reculer d’un pas. Je me sens impuissante, bloquée. J’attends le couperet de la guillotine : instants effroyables…
Soudain, par magie, je me sens plus légère. Les musiciens accordent leur instrument, me sortent de la torpeur.
Défilent alors à mon esprit, des images tendres de mon enfance.
+Avec mes cousins chéris, à chaque vacance, nous montions de véritables shows dont mon grand père était le seul spectateur. Le trac, oui, je l’avais, mais, en véritable petit soldat, j’entamais le spectacle par une chanson amoureusement préparée. De délicieux souvenirs se propagent alors dans tout mon corps. Je me liquéfie, je souris, j’entends ma voix exploser, discerne enfin le public. Je chante, les musiciens se déchainent, les applaudissements aussi, quant à la petite fille, je l’ai retrouvée, j’irai de l’avant, j’irai, j’irai….

Marie Noelle

Deux mois avaient passé depuis ces événements dramatiques. Le Caire se réveillait et pansait ses blessures. Tout autour, les voix des muezzins se répondaient de mosquées en mosquées. De mon appartement perché au-dessus du marché El Hallali, je percevais les éclats de voix des marchands, les pétarades des mobylettes, je sentais les odeurs de menthe ou de tabac, comme toujours. J’avais l’impression d’avoir rêvé. Ce que j’avais vécu avait-il jamais existé ? Et pourtant, si, nous avions bel et bien lutté pour notre liberté, pour en finir avec ce régime corrompu qui nous oppressait. Jamais auparavant je n’aurais imaginé des moments aussi forts où alternaient la liesse et la peur panique.
« Printemps arabe » disait la presse occidentale. Ils avaient raison. Comme au printemps, la vigueur première de la nature avait éclaté. Rien n’arrêtait le foisonnement des idées, l’éclosion des individualités, le jaillissement des révoltes. Partout des scènes touchantes où les cœurs s’épanchaient, livraient leurs blessures, les humiliations quotidiennes subies sous ce régime injuste. Des fleurs sur les pavés…Un espoir fou, comme au printemps. Tout renaissait, l’Egypte pouvait de nouveau dresser la tête. Elle ne voulait plus de sabre ni de goupillon. Ni armée, ni mollah !
Et je me souvenais des longues nuits sur la place Tarhir. Les banderoles en arabe, en anglais. Les regroupements, les mouvements de foule et toute cette allégresse.
Moi, l’universitaire vieillissant, pur fruit de l’école française, musulman tranquille révulsé par l’obscurantisme islamiste, je naviguais à vue. Où étaient mes certitudes ? Les doutes m’assaillaient. Oui, j’étais heureux de vivre ce sursaut inespéré. Mais je m’interrogeais : quels lendemains ? Comment passer de l’utopie à la gouvernance ? Bien sûr, nous débattions de tous ces enjeux au cours des longues nuits d’occupation. De nombreuses femmes avaient refusé d’être exclues et, selon leur génie propre, elles assuraient la survie pratique : thermos de café, gâteaux de miel, galette de pain. Beaucoup d’enfants aussi : pour eux, c’était une fête permanente. Ils se déplaçaient de groupe en groupe, filles et garçons mélangés. Je m’étais attaché à Zaouia, une fillette, vive , délurée, sensible qui courait comme un feu follet.
Et c’est un jeudi soir que le drame eut lieu. L’armée avait encerclé la place : cris, bousculades, mouvement de foule. Des blessés, des ambulances, le retrait précipité des femmes et des enfants dans les ruelles adjacentes. On se compte : pas de Zaouia ! L’armée revient à la charge ! C’est le carnage…le printemps vire à l’enfer.
Alors, nous nous sommes tous terrés, paralysés à l’idée d’être pris, emprisonnés, torturés. Mais, au fond de nous, la flamme du printemps n’est pas éteinte.
Quant à la petite fille, je l’ai retrouvée. J’irai de l’avant, j’irai.

Jacqueline

J’étais ce que qu’on appelle « une grande personne ». Quelqu’un de sérieux, de responsable, sur qui l’on peut compter : une adulte, en somme. Du moins, je le croyais jusqu’au jour où tu es entré dans ma vie.
Quelque chose a changé. Tu as ouvert une brèche. J’ai compris qu’avec toi, je pouvais rouvrir les portes de l’enfance. Ta bienveillance a libéré des souvenirs anciens. Les vieilles blessures ont ressurgi mais tu étais là pour consoler l’enfant triste, blessé, humilié. J’ai beaucoup pleuré, nous avons ri aussi.
Quant à la petite fille, je l’ai retrouvée. J’irai de l’avant, j’irai, j’irai.

Dominique

J’avais passé des années plus ou moins faciles à construire une famille, à travailler, à cultiver l’amitié et à surmonter les difficultés et les déceptions.

Me restait toutefois le souvenir prégnant d’une enfance pas toujours heureuse au sein d’une famille nombreuse ; mais rayon de soleil dans ces années, j’avais une amie, fille unique que j’adorais et que j’enviais à la fois : Cécile était gaie, insouciante, active et aimait partager ses jeux, ses jouets et sa joie de vivre. Et puis, elle avait une maman et quelle maman !, toujours disponible, accueillante et bonne cuisinière ; je me souviens encore des goûters savoureux, des jeux toutes les trois et des promenades : des moments heureux, paisibles.

J’aimais cette maman qui me questionnait sur mes notes scolaires, mes loisirs, ma famille ; elle était attentive ; près d’elle, je « buvais du petit lait ».

Et puis la vie, les kilomètres, nos choix personnels nous avaient éloignées l’une de l’autre, Cécile et moi. Des faire-part de naissance, des vœux quelque peu formels en fin d’année...rien de bien personnalisé pendant longtemps,30 ans....presque 40 ans.

C’est une photo de nous deux, fillettes, sur un manège, qui m’a fait réagir. Nostalgie....Quoi ! Toutes ces années d’amitié partagée n’auraient aucune suite ? Nos visages radieux, nos cols Claudine et nos sandales blanches m’ont fait craquer. Internet m’a aidée à trouver les coordonnées de Cécile ; et le week-end suivant, je prenais le train pour Bruxelles.

Quelle émotion de la revoir ! nous avons évoqué nos années d’enfance, le souvenir de sa merveilleuse maman malheureusement décédée ; quant à la petite fille Cécile à présent quinquagénaire épanouie, je l’ai retrouvée et je ne la lâcherai pas ; j ’irai de l’avant, nous irons de l’avant !

Myriam

La fumée âcre, l’odeur de plastique et de tissu brûlé, Les cris, les gens qui courent en tous sens. Hurlements des femmes , voix cassée des hommes dans cette langue étrangère.
Je ne retrouve pas l’endroit. Un rat détalle entre mes pieds. La cabane ? je la vois, elle est en feu. Où est la famille ?
Cette cabane, montée en un après-midi avec des troncs, des planches, des tôles, Un dimanche matin où ils s’étaient retrouvés à la rue, à l’heure où d’autres prennent le petit déjeuner en famille. Pour assembler les planches, ils n’avaient pas de clous, Les magasins étant fermés, j’étais allée en chercher à l’autre bout de la ville chez des voisins bricoleurs. Le soir, ils avaient leur chez eux, grand matelas posé sur des palettes, une table branlante, un réchaud à gaz à partager entre deux familles. Un vrai savoir faire !
Cet incendie ? un chauffage à gaz qui amis le feu à quelques couvertures ? mais pourquoi en plusieurs points du campement ? ...c’est trop horrible... je ne veux pas y penser .
A cinq heures ce matin, je suis réveillée par Vatenau téléphone : « Madame !Madame ,il y a le feu ! » Toujours cette politesse, cette discretion, Il ne me dit pas venez vite mais je l’entends dans sa voix. « Je prends la voiture et j’arrive ! »
Une heure plus tard, je suis aux abords du campement en périphérie de la ville. Je reconnais quelques personnes, il y a Bernard, l’indéfectible témoin,il a rappelé les pompiers qui tardent à arriver. Janine, l’infatigable, toujours là quand il faut aider, elle a appelé les journalistes et activé son réseau.
Et maintenant, je suis au milieu du campement devant la cabane de Vaten en flammes. Je suis sous le choc, mes jambes tremblent, ma tête s’affole. Je crie Vaten ! Zorita ! la fumée me brûle les yeux et remplit mes poumons. La chaleur irradie, il faut reculer. Soudain j’entends « Madame ! madame ! » c’est Vaten qui tient Fiore par la main, il m’entraîne plus loin , là où le feu n’a pas pris, Zorita est assise au milieu de ses paquets, elle serre contre elle sa petite Sara et le sac qui contient tous les papiers de la famille. Son visage est décomposé.
− On a perdu Rina
Le temps de retourner dans la cabane prendre ses papiers, Rina avait disparu. Combien de fois je lui avais dit tu n’oublies jamais tes papiers, tu les gardes toujours avec toi.Comme je m’en veux maintenant !
J’indique à Zorita où est la voiture. Avec Vaten nous retournons chercher Rina. Soudain, je la vois, barbouillée de cendres, les larmes ont laissé deux traces blanches sur ses joues. Elle tient à la main la poupée aux anglaises blondes et à la robe de taffetas que j’avais trouvé à Caritas, la veille de Noël. Ils ont tout perdu, mais ils sont vivants.
Quant à la petite fille, je l’ai retrouvée. J’irai de l’avant, j’irai, j’irai.

Elisabeth

Ainsi va la vie ; Le temps a coulé trop vite le long des fleuves que j’ai suivis. La Seine, la Durance, le Doubs, le Rhône et la Saône. Tous avaient leurs s charmes, tous m’ont imprégnée de leurs couleurs, variables selon les saisons ou les heures du jour, des parfums qu’ils rapportaient de leurs voyages, de leur histoire, du petit filet d’eau au torrent fougueux.
Je les ai tous aimés. La Moselle aussi puisqu’elle est devenue un morceau de patrie.
Seule la Seine en descendant vers la mer me ramène à mon enfance..
Et la mer ! La mer, ses colères, ses hautes vagues, ses embruns, ses senteurs, ses verts, ses gris près du ciel ! Les galets sur lesquels je peine à marcher. Les cabanes en bois blanc, qu’on démonte à la fin de l’été.
J’y suis retournée quelques fois. Les villes se sont construites mais le littoral a peu changé, les hortensias roses s’épanouissent toujours dans les jardins, parfois aux pieds des maisons à colombages.
Quant à la petite fille, je l’ai retrouvée…J’irai de l’avant, j’irai, j’irai.

Marylène

Les vacances approchaient.
J’avais encore un agenda bien vide, toute la liberté devant moi, la liberté de me reposer après des mois de travail acharné. Je m’étais engagée dans toutes sortes de projets qui partaient dans tous les sens et qui n’en finissaient pas d’enfler mon emploi du temps. Après le tourbillon et la tempête de ces quelques semaines de fin de trimestre je voyais enfin le creux de la vague, le calme mousseux de l’eau sur le sable tendre et mouillé …
Je ne savais pas encore où partir, la mer m’attirait mais prendre le frais à la campagne et ne rien faire était une belle perspective aussi !
Je passai en revue les amis, les proches, la famille éloignée. J’avais une petite préférence pour un début de vacances au calme entre amis.
Il me revint en mémoire un été précédent où nous avions fait avec quelques amis peintres aquarellistes, dessinateurs amateurs, un séjour artistique dans un refuge de montagne accueillant, paysages de qualité picturale, de l’espace pour poser nos cartons, nos boites de couleurs et notre regard émerveillé. Au dehors, des rochers en guise de tabourets et de l’herbe rase en moquette fleurie. En dedans des tables et des bancs de bois massif autour d’un petit poêle en fonte ronronnant quand le vent se levait et que la température chutait dangereusement sur nos doigts et nos épaules frissonnantes. Les repas étaient assurés par la gardienne alerte et bienveillante qui nous préparait des petits casse croute savoureux et consistants quand nous partions nous aventurer un peu à l’écart du refuge sur les bords d’un torrent escarpé ou sur un promontoire défiant le vide. Au milieu des précipices c’était un lieu rassurant. La vie simple trouvée dans ce bout du monde nous avait fait côtoyer pendant quelques jours des gens arrivés par un sentier rude et épuisant, venus souvent de très loin, en avion, en voiture, en train, pour finir à pied, vagabonds halés, hirsutes, heureux, grosses chaussures et sac au dos.
On y était accueillis par un couple d’autochtones entourés d’une demi douzaine de poules, d’un chat pour quelques familles de souris, de beaucoup de marmottes, de centaines de moutons en liberté et d’une toute petite fille qui courait partout. Bâtons à la main elle imitait les randonneurs ou parfois se rendait utile en frottant avec une éponge dégoulinante les tables de la terrasse. La vie ici avait des modèles anciens et la petite fille des modèles adultes. Du haut de ses 3ans elle posait des questions à tous, ne s’effrayait de rien, connaissait tout des poules et des marmottes, informait les premiers randonneurs compréhensifs et disparaissait à l’heure de la sieste pour réapparaître en très grande forme quand les clients suivants arrivaient fourbus et contents de pouvoir s’assoir devant une grande bière et une petite tarte aux myrtilles.
A ce souvenir je sus que c’était là haut que je voulais retourner : revoir ces paysages grandioses, sentir les parfums chauds des prairies ensoleillées, des herbes drues à peine sorties de terre, être subjuguée au détour du sentier par les couleurs éclatantes des fleurs minuscules et les formes richement dentelées des lichens sur les roches rugueuses.
Je sortis mes carnets et mes cartons, retrouvai quelques dessins, ébauchés cet été là au refuge, croquis sur le vif, des poules, des moutons et surtout la petite fille qui dans son étonnante agitation savait s’arrêter quelques minutes pour une pose rieuse. Les croquis étaient rapides ils évoquaient la malice de Zoé, sa tête blonde, ses joues comme des pommes, à croquer ! Je la revis devant moi joyeuse, trublion étincelant, au milieu d’adultes fatigués contents de se poser enfin après la longue marche !
Je me rappelai aussi la difficulté de ma propre ascension avec mes amis, la traversée du nuage au col, la perte du chemin dans le jour blanc, la neige et la grêle qui s’abattirent sur nous quand nous changeâmes de versant et pour finir les chiens peu accueillants gardant les troupeaux éparpillés et se mettant en travers du chemin pour défendre leur territoire aussi vaste que la montagne ! Ce mauvais souvenir longtemps me rebuta.
Mais aujourd’hui ces passages difficiles pour atteindre le refuge me semblent loin, je sais que je pourrai y retourner sans crainte, l’envie de refaire un détour par ce chalet aux couleurs de l’enfance est la plus forte. Les sentiers trop durs, trop longs, trop pentus qui cassent les mollets et vrillent les genoux, les nuages menaçants de grêle qui fouettent le visage, les chiens qui grognent méchamment, je les ai rangés définitivement au rayon des désastres, au fond des cartons à poussière, perdus dans des carnets de dessins impossibles, quant à la petite fille je l’ai retrouvée, j’irai de l’avant, j’irai, j’irai.


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