Au revoir là-haut (P. Lemaitre)
dimanche 30 novembre 2014 par
Le roman commence quelques jours avant la fin de la guerre de 14, le 2 novembre 1918 exactement. Les rumeurs annonçant l’armistice se multiplient et la plupart des soldats, retrouvant l’espoir de s’en sortir vivants, ne sont plus très chauds pour se battre. Albert Maillard fait partie de cette catégorie et il attend tranquillement la fin de la guerre...
Mais le lieutenant d’Aulnay-Pradelle en a décidé autrement. Cet aristocrate ambitieux, cynique est prêt à tout pour tirer parti de la guerre et redorer son blason d’aristocrate ruiné. Il décide donc de relancer une dernière attaque, celle de la cote 113. Mais pour motiver ses troupes, il assassine deux de ses hommes en faisant passer le crime sur le compte des « Boches ». Révoltés, les Français passent à l’attaque ; les Allemands répliquent et c’est l’engrenage.
Manque de chance pour Pradelle, au cours de l’offensive, Albert Maillard, encore lui, tombe sur le corps du soldat assassiné et réalise qu’il a été tué de deux balles dans le dos. Pradelle - qui a compris que Maillard avait compris- se rue sur lui et le précipite dans un trou béant pour l’ensevelir vivant. C’est alors qu’Edouard Péricourt, (l’autre héros du livre) entre en scène. Il est déjà blessé à la jambe mais il court au secours de son camarade et le sauve in extremis. Juste à ce moment, ils se font souffler par un éclat d’obus. Albert est blessé mais sain et sauf tandis qu’ Edouard a le visage complètement défiguré par l’explosion.
Après ce début captivant, le roman relate le retour à la vie des deux hommes. Pour Edouard, le retour à la vie est synonyme d’horreur. Il souffre atrocement et découvre qu’il n’a plus de visage (gueule cassée). Il veut se jeter par la fenêtre mais n’y parvient pas et Albert le console comme une mère.
Pour Albert, le retour à la vie civile est doublement difficile. Pradelle tente de le faire exécuter en le faisant passer pour déserteur. Par ailleurs, Albert se sent responsable d’Edouard à qui il doit la vie mais il doit surmonter toutes sortes de peurs pour se mettre à son service en volant de la morphine ou en l’aidant à changer d’identité (quand Edouard lui fait comprendre qu’il ne veut plus revoir sa famille).
C’est le retour à la vie civile et l’après-guerre qui constituent en fait le sujet du roman.
Le lecteur se pose des questions haletantes qui relèvent presque du roman policier :
- Que vont devenir Edouard et Albert, ce « couple » aussi improbable que contrasté, et terriblement attachant ?
- Ce salopard de Pradelle, jusqu’où ira-t-il dans l’ignominie, la « justice » passera-t-elle ?
Mais il côtoie aussi une multitude de personnages secondaires, toile de fonds révélatrice de la réalité de l’après-guerre.
Pourquoi ce roman m’a passionnée :
- il montre la réalité de l’après-guerre : certains qu’on honore comme des héros se sont conduits lâchement ou sont de francs salauds. A l’inverse, les véritables héros tombent dans l’oubli et l’Etat semble plus préoccupé de glorifier ses morts que de s’occuper des vivants.
- les deux personnages principaux sont bien campés : malgré son désespoir, Edouard déborde d’énergie et il va réaliser une escroquerie spectaculaire qui démasque toute l’hypocrisie de l’après-guerre et réjouit le lecteur. Quant à Albert, il figure un peu l’anti-héros, le Sancho Pança d’Edouard. Il a peur de tout mais il s’en tire toujours et va révéler sa véritable force. Il est très attachant dans sa fragilité.
- le roman est très bien écrit, avec beaucoup de réalisme et de précision. La scène de l’ensevelissement d’Albert (p.31 à 35), où le lecteur se trouve enterré vivant aux côtés d’Albert et vit ce qu’il croit être ses derniers moments est un exemple saisissant de son style.