La place du théâtre dans la littérature.
dimanche 30 novembre 2014 par
Breton disait de Dostoïevski à propos de "crime et châtiment", il peut nous la décrire avec minutie, la chambre de Raskolnikov, ce n’est pas cette chambre là que nous nous représentons, mais une chambre que nous construisons avec nos propres références. C’est la raison pour laquelle nous sommes souvent déçus par les romans portés à l’écran parce qu’ils ajoutent aux références de l’auteur et aux nôtres, un jeu référentiel encore différent.
Qu’en est-il du théâtre ? pouvons nous lire une pièce et la voir jouer ensuite sans être déçus ?
La lecture d’une oeuvre théâtrale est limitée dans son champ visuel. Nous nous représentons une scène, un décor grâce aux didascalies que nous transformons plus ou moins et des personnages mis en présence. Ce sont les paroles échangées qui ont la place la plus importante. Les personnages ont une pseudo-existence humaine, ils ont surtout une valeur symbolique.
Au théâtre, tout n’est que semblant et faux-semblant.
L’acteur sait qu’il n’est pas Néron, le public aussi et tout le monde fait comme si c’était Néron en personne sur la scène.
Nous pouvons aller voir plusieurs mises en scène d’une même pièce, celle que nous nous sommes forgée dans notre tête en lisant la pièce, n’est rien d’autre qu’une mise en scène supplémentaire.
"Six personnages en quête d’un auteur" pose le problème de la réalité et de l’illusion.
La pièce s’ouvre sur une mise en abîme. Nous sommes au théâtre et nous assistons à la répétition d’une pièce de théâtre. Soudain, six personnages font irruption ; deux adultes, deux adolescents, deux enfants. Nous apprenons rapidement qu’il s’agit d’une famille plus ou moins recomposée issue de l’imagination d’un auteur qui n’est pas parvenu à écrire leur histoire. Las de leur errance, ils viennent demander au metteur en scène de faire jouer leur drame par les acteurs de la troupe qu’il dirige.
Dans un premier temps, le metteur en scène refuse. Les "personnages" lui racontent leur histoire et la jouent en même temps mais ils veulent que des comédiens les incarnent parce qu’ils n’ont pas d’existence, ils ne sont que dans l’imaginaire d’un auteur. Le metteur en scène, ému au fil du drame, ( certains acteurs aussi ) finit par accepter. Cependant, les "personnages" ne se retrouvent pas dans le jeu des acteurs et ils jouent à nouveau leur propre rôle.
La mise en scène d’Emmanuel Demarcy-mota au TNP de Villeurbanne est excellente. Les effets scéniques sont variés. Il insiste sur ce jeu du théâtre dans le théâtre avec ce mélange d’acteurs et de personnages fictifs mais présents, il a recours à des effets d’ombres chinoises, à des acteurs qui veulent s’inspirer de la personnalité des personnages sans y parvenir et sont gauches dans leur imitation.
"La richesse de ces imbrications met en place le vertige et ouvre une réflexion sur la création théâtrale dans ses tenants et ses aboutissants les plus intimes. Le monde du théâtre devient comme le lieu de la fabrication de tous les possibles : de l’inceste à peine déguisé à la mort violente des innocents." Emmanuel Demarcy-Mota
Le père dit : "vous n’êtes donc pas habitués à voir surgir, ici même, vivants, des personnages créés par un auteur ? C’est peut-être qu’il n’y a nulle part un manuscrit qui nous contienne." Luigi Pirandello