Festival littérature et journalisme Festival littérature et journalisme

mercredi 30 avril 2014 par Elisabeth

Le festival Littérature et Journalisme 2014, à quelques semaines des élections européennes a choisi de mettre au cœur des conférences l’Europe en crise d’aujourd’hui et ce que pourrait être l’Europe de demain.

Deux axes principaux : Les langues et l’économie
Je vois la déception sur les visages quand j’aurai cité Bernard Guetta, Michel Devoluy, Guillaume Duval….et que j’annoncerai que je n’ai pas suivi ces ateliers Pas plus « penser l’Europe de demain » « la montée du populisme » « encombrants cadavres de l’Europe : la colonisation, son impuissance en Syrie…. »

Exaspérée par tous les commentaires des journalistes pieds et mains liés par les groupes Hersent et compagnie, sommés de mettre à terre le PS bien malade et glorifier le FN pour faire peur et faire voter UMP dont la santé ne vaut guère mieux que celle du PS mais ils ont l’argent, les grosses boites du Cac 40, les mammouths des origines de la Ve République et ça rassure les électeurs du dimanche qui constatent que leur porte-monnaie est vide tandis que certains portefeuilles sont pleins.

L’Europe a été construite à l’envers par de grands penseurs qui se renvoient la faute aujourd’hui mais tout raser et recommencer c’est difficile pour ceux qui sont aux commandes et qui perdraient beaucoup. Nous, les petits nous perdrions aussi.
Il fallait commencer par une confédération d’états avec un président de l’union européenne et non pas changer de chef tous les six mois. Ce principe –là est déjà une aberration. Comment mener une ligne politique dans ces conditions ?
Deuxième erreur on a nié l’opinion des peuples qui avaient refusé la constitution en faisant comme s’ils l’avaient approuvée, alors que cela aurait dû donner à réfléchir
Les vieux, ceux qui ont cru au grand soir sont las de tant de luttes inutiles et les jeunes n’y croient plus
.
Vous avez compris pourquoi je me suis engouffrée dans les langues. Elle est là l’Europe.
Elle existe depuis le Moyen-Age. Elle existe dans la culture, dans les échanges artistiques, les mouvements d’idées identiques de l’Oural au Portugal, les échanges linguistiques. Aucune langue ne s’est formée sans emprunts à une autre langue.
Quand un président d’un état européen ose dire que l’Afrique n’a pas d’Histoire, on peut se demander ce qu’on apprend à l’ENA sur l’Histoire du Monde et sur l’Histoire de l’Europe.

Donc, j’ai choisi les langues.

Premier thème : écrire dans une langue qui n’est pas sa langue maternelle.
Quatre invités : une Slovène, un Italien, un Bosniaque, une Française dont la langue maternelle est le mosellan ou « ditsch. »
Tous quatre écrivent des romans en français et pensent en français. Lorsqu’ils traduisent leurs romans français dans leur langue d’origine, ils constatent qu’ils écrivent un autre roman. Les mots n’ont ni les mêmes connotations ni les mêmes sonorités dans l’une et l’autre langue.
Fabienne Jacob, Française mosellane explique que le français -dont elle a tant rêvé la maitrise pour parler comme la maitresse ou comme les filles des ingénieurs, - lui paraît fade parfois. Elle donne l’exemple du mot lait. « Milch », c’est le lait de son enfance qu’elle allait chercher à la ferme même les soirs d’hiver, tandis que le mot lait, c’est la bouteille du supermarché. De plus en plus, elle glisse dans ses romans du mosellan, pour retourner à ses origines parce qu’elle a l’impression de les avoir trahies.
Autre exemple, « areka » fait bien plus peur aux enfants que le corbeau.
Jean Portante a un parcours atypique. Ses parents sont tous deux originaires des Abruzzes, d’Aquila. Ils sont venus au Luxembourg pour le travail du père, puis en France pour les mêmes raisons. L’enfant parle alors trois langues auxquelles il ajoute l’Allemand et l’Anglais à l’école puis l’Espagnol parce qu’adulte il a vécu cinq ans en Amérique du Sud. Il écrit dans toutes ces langues et compose des poèmes patchwork en les mélangeant.
Il souligne la différence entre la langue maternelle entièrement orale et la langue apprise constituée de signes graphiques et de codes.
Quand on écrit dans une autre langue que la sienne, on ressemble à une baleine qui a l’apparence d’un poisson mais est en fait un mammifère, avec un poumon comme les mammifères. Elle a un extérieur et un intérieur secret qui ne se voit pas. Quand il écrit en français, c’est l’extérieur, son poumon secret, c’est l’italien.
Brina Svit, écrivain slovène mariée à un français depuis près de vingt-cinq ans a timidement rédigé un article en français sans penser en Slovène, puis encouragée, elle a osé la Nouvelle puis le roman. Elle préfère travailler avec un traducteur parce que si elle traduit elle-même, elle écrit un autre roman.
Velibor Colic a raconté de nombreuses anecdotes sur son arrivée en France pendant la guerre en ex-Yougoslavie. A cette époque, il ne parlait pas un mot de français. A présent, Il a écrit « Jésus et Tito »en français, quel programme !
La marque de la langue maternelle, c’est par exemple, Andreï Makéïne qui écrit en français mais ne parle que de la Sibérie.

Deuxième thème : une citation d’Umberto Ecco, « la langue de l’Europe, c’est la traduction ».
Est-ce une sentence ou un espoir ?
Trois invités :Shumona Sinha Indienne, Adam Thirlwell Anglais, Andreï Kourkov Ukrainien de langue russe
Que peut-on savoir du style de l’auteur quand il est traduit ? Quand on ne parle pas sa langue et qu’on ne peut pas lire son œuvre en version originale ?
La dernière mouture d’un roman, c’est celle du lecteur. Le traducteur est un intermédiaire, un interprète. Quel roman lit le lecteur étranger à langue d’origine ? Celui de l’auteur ? Celui du traducteur ? Quel roman peut-il se construire lui-même ?
On constate que les traductions se multiplient. Certaines œuvres sont traduites et retraduites encore de nos jours malgré des traducteurs célèbres et « patentés » comme Baudelaire traduisant Oscar Wilde.
Autre problème : quand la traduction est impossible :
En Inde, on compte vingt-six langues officielles et de nombreuses langues vernaculaires.
La seule littérature indienne connue, est celle qui est traduite en anglais. Cependant il existe une littérature bengali, très riche, peu traduite parce qu’elle est ancrée dans la culture bengali..
Shumona Sinha est écrivain en langue bengali, en langue française, traductrice de bengali en français, éditrice. Elle rejette la littérature anglaise pour deux raisons : la première, c’est la colonisation ; la deuxième c’est qu’il faut traverser le parc du château, quelques salons, voir la robe de la jeune fille avant le premier baiser.
Elle pense que tout n’est pas traduisible. Outre les jeux de mots qui n’ont de sens que dans une langue, les sonorités qui induisent de l’émotion, certains mots ne peuvent pas passer d’une langue à l’autre.
Elle-même, se sent plus libérée quand elle écrit en français. Elle ne pourrait pas écrire la même chose en bengali. Elle refuse de traduire certains romans du français au bengali parce qu’elle s’interdit des mots. Une femme ne peut pas écrire cela en bengali.
Autre problème, traduire une langue sans article dans une langue avec articles ou l’inverse. Elle explique la difficulté de traduire en bengali un poème français parlant de la nuit avec toute la volupté de la femme sans article féminin pour insister sur cette métaphore. Elle a dû avoir recours au sanscrit, forme ancienne du bengali. Le sanscrit a un article féminin.
Adam Thirlwell s’interroge lui aussi sur le style d’un auteur traduit. Il tente dans « vies multiples » la réussite de la tour de Babel. Il choisit une nouvelle et cinq à six traductions en différentes langues, voire plusieurs traductions en une même langue.
L’Europe est pour lui une immense richesse à cause de la multiplicité des langues. Si on traverse les Etats Unis, d’Est en Ouest, du Nord au Sud, c’est toujours la même langue ; l’Europe a une richesse linguistique inégalable.
Andreï Kourkov écrit en russe en musique ; pour savoir si la traduction de son roman est bonne, il écoute le même morceau et doit retrouver le même rythme.

Petites anecdotes
Ismaïl Khadaré traduit en anglais d’après une traduction française et pas de l’albanais en anglais.

Quelle conclusion dois –je en tirer ?
La langue maternelle est un atout à exploiter. Elle sert de tremplin mais elle ne suffit pas. L’apprentissage de langues étrangères ouvre la connaissance ; sur un plan linguistique d’abord et principalement sur un plan culturel.
La pluralité des langues est une richesse qu’il ne faudrait pas abandonner pour une seule langue. L’échec de l’espéranto en est la preuve.
Le choix de la dominance de l’anglais pour les échanges commerciaux est sûrement judicieux mais chaque pays doit conserver sa langue vernaculaire pour la richesse de la culture européenne.



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