La Reine blanche. La Reine blanche.

lundi 6 février 2017 par Elisabeth

Comment s’est déroulé la séance :
On prend au hasard une pièce d’un jeu d’échecs. On donne une identité à cette pièce.
J’avais tiré la reine blanche.

La Reine blanche, c’est comme ça qu’on l’appelle dans le quartier.
En fait, elle s’appelle AdélaÏde Dupon- Duboisjoli . Elle est née à la Réunion le 14 janvier 1960. Elle passe sa petite enfance dans son île merveilleuse qu’elle pleure encore aujourd’hui.
Quand elle est arrivée dans la Creuse, à l’âge de sept ans, elle avait froid.
Où était le soleil ? Elle avait cru comprendre qu’il brillait partout mais pas en même temps. Ici, à Guéret, il ne brillait jamais. Elle travaillait du matin au soir sous la menace des coups.
A sa majorité, elle a quitté la ferme sans se retourner.
Aujourd’hui, elle tient une boutique de prêt-à-porter. Elle arbore avec grâce de jolis vêtements.
Elle a réussi.
Elle a pris sa revanche. On le voit à son port altier. C’est pour cela qu’on l’appelle la Reine blanche.
L’ironie de ce surnom, elle s’en moque.

Quand on avait lu son texte, il fallait mettre la pièce du jeu sur l’échiquier de façon à rassembler des similitudes de textes.
Ainsi, ma reine a côtoyé un fou qui représentait un migrant.

Ensuite, on racontait un épisode de la vie de ce personnage. Quand Sylvain en donnait le signal, on échangeait les feuilles et on continuait l’histoire de l’acolyte, puis on reprenait son texte initial. Il fallait introduire dans nos textes trois phrases extraites du "joueur d’échecs" de Stefan Zweig : "Il était bien entendu interdit de s’asseoir" "cela dura pendant quinze jours pendant lesquels je vécus hors du temps, hors du monde" " pour un dilettante, ce monsieur est remarquablement doué."
Je vous mets au défi de trouver ce que j’ai écrit (sauf le début mais jusqu’où ?) et ce que Catherine, ma partenaire de l’immigration, a écrit.
Il en était ainsi pour tous les textes.

Il était, bien entendu, interdit de s’asseoir. Adélaïde n’avait pas prévu de sièges dans sa boutique. Comme elle était de haute taille, elle toisait ses clientes, toutes issues de la bourgeoisie de Guéret. Elles minaudaient quand elles venaient acheter une robe ou un chapeau sophistiqué comme seule Adélaïde savait en fabriquer.
"C’est exotique" disaient-elles avec un sourire mi-figue mi-raisin.
"Cela vous sied à ravir" répondait la Reine blanche qui avait appris l’expression par coeur.
Or, un jour, ce fut un homme qui entra dans la boutique. Un bel homme, de belle stature, rasé de près, costume élégant bien coupé, chapeau haut-de-forme. Le gendre idéal, le prince charmant dont la Reine blanche avait toujours rêvé.
Il salua la jeune femme et fit le tour du magasin.
Au "puis-je vous aider ? " d’Adélaïde, il répondit qu’il regardait.
On pourrait même dire qu’il inspectait les lieux.
Cela dura quinze jours pendant lesquels elle vécut hors du temps, hors du monde.
L’homme acheva enfin son tour et mit un moment avant de poser sa question : Pourrait-elle fabriquer une robe avec un tissu qu’il lui fournirait ? Il faudrait la faire en tout point semblable au modèle qu’il apporterait en même temps que le tissu.
L’affaire fut conclue bien vite et un rendez-vous fut pris pour le lendemain.
La nuit fut agitée de rêves hors de propos et le petit matin la trouva angoissée.
L’homme était au rendez-vous.
Il avait apporté une malle dans laquelle Adélaïde trouva des mètres de soie blanche, des mètres d’organdi blanc, des mètres de dentelle blanche.
Elle demanda :"Vous voulez que je coupe et couse une robe de mariée en quelque sorte." Il acquiesça .
Elle lui assura que la robe serait prête quinze jours plus tard. Quinze jours pendant lesquels elle vécut, une fois encore, hors du temps, hors du monde.
Déçue à l’idée qu’il allait se marier, elle se posa mille et une questions telles que " je la réussis ou je la gâche ?"
Si sa grand-mère était là, elle lui donnerait des conseils, invoquerait les esprits pour faire disparaitre cette rivale.
Enfin, pour la renommée de sa boutique, elle choisit de créer la plus belle robe de mariée qu’on eût vue à Guéret. Elle l’exposa dans la vitrine et les passants s’extasiaient.
Au bout de deux semaines, le jeune homme revint. Il fut ébloui par la splendeur du vêtement.
Il paya comptant et content.
Dès qu’il eut passé la porte, la Reine blanche s’effondra.
Il revint le lendemain avec la robe. Elle crut qu’il y avait un problème.
- "voudriez-vous la passer ?"
Quelle cruauté ! Pensa t-elle. Elle s’exécuta. La robe lui allait comme un gant.
- "Mademoiselle Dupon Duboisjoli, voulez-vous m’épouser ?
Pour un dilettante, ce monsieur était remarquablement doué.



Imprimer