Etrange premier octobre. Etrange premier octobre.

mercredi 22 novembre 2017 par Elisabeth

Je me rappelle avoir dactylographié mes textes, mis en ligne les texte de Myriam et de Marie Noëlle et tout a disparu.
Une "mauvaise manip" vraisemblablement.

Après lecture d’un extrait de "l’atelier noir" d’Annie Ernaux, j’ai demandé d’écrire un texte qui commencerait par : cet été là j’ai décidé d’écrire. Pourquoi ?

Marie Noëlle
Je ne me rappelle pas le jour où j’ai décidé d’écrire sur l’Algérie. Je crois avoir toujours porté en moi ce livre, à la fois récit ancré dans l’histoire, fresque en hommage aux paysages somptueux de l’Algérie, évocation d’émotions violentes, contradictoires, ambigües, mais aussi carnet intime d’une initiation à l’ailleurs, à la nuance, à l’incertain.
Il m’a suffi au gré des partages d’écritures entre amis, d’ouvrir le coffret de ma mémoire, plein d’images et de sensations. Et le souvenir de tous ces moments surgissaient intacts, ravivé par des images, des sons, des odeurs : le spectacle d’un« chibani » accoudé à la balustrade et contemplant le bord de Saône, ou l’odeur aigrelette des poivrons grillés un soir d’été, ou encore le parfum pénétrant qui se dégage de nos prairies après la pluie, sensation qui alors m’avait tant manquée. Ces moments retrouvés et jamais perdus, je les ai cueillis comme on ramasse un fruit familier. Les phrases venaient aisément, mûries par les années, mais sans dépôt, claires et vraies. Et peu à peu, la mosaïque s’est construite, les motifs se sont mis en place, les lignes de force se sont imposées.
Tout de suite, j’ai souhaité dire « je ». Mais choisir la première personne me semblait très audacieux, quasi subversif. J’hésitais. Ces événements, je ne les avais pas vécus seule, j’étais en symbiose avec ceux qui m’entouraient, m’aimaient et partageaient, sans doute, la même expérience. Néanmoins, je voulais oser écrire à la première personne. Une fois ce pas franchi, ma parole a été plus facile, comme si celle qui écrivait maintenant souhaitait cette audace. C’était aussi cela, ce livre que j’avais nommé Indépendances : a posteriori, me ressaisir de mon histoire, comprendre comment cette période m’avait façonnée, bouleversée, mise à nu.

Elisabeth
Cet été-là, j’ai décidé d’écrire sur les trois soeurs Dodelin. C’était en juin 1973.
J’ai commencé puis j’ai arrêté peu satisfaite. Ce n’était pas ce que je voulais dire.
J’ai laissé longtemps murir le projet sans arrêter d’y penser.
Cet été 2017, j’ai eu envie de reprendre. Je ne peux pas dire que j’ai décidé, cela s’est imposé à moi. Il fallait que je raconte l’histoire des filles Dodelin comme on nous appelait dans notre enfance. J’y suis parvenue.
Nous n’étions pas Françoise, Jacqueline, Elisabeth mais les filles Dodelin. Un bloc. Nous le sommes restées toute notre vie commune et même dans la mémoire de ceux qui nous ont connues et aimées.

Marylène
Si c’était simple !
Si c’était simple à dire, elle le dirait, elle l’écrirait même.
Elle n’aurait plus besoin de penser à tout ce qui l’en empêchait, la contrariait, lui faisait redouter de s’enfoncer dans sa vie d’avant, dans les méandres de ses hésitations, de ses choix et de ses contradictions.
Elle dirait c’est simple d’écrire et elle écrirait.
Et instantanément elle reviendrait sur son passé.
Petite, à l’école primaire, elle ne lisait pas beaucoup, elle aimait encore qu’on lui fasse la lecture, elle aimait écouter la voix de sa mère si douce, celle de sa nounou légèrement traînante, la voix de la maîtresse ondulante, sûre et puissante, intonations et geste à la mesure du texte lu.
Elle écoutait, revivait la vie d’une autre, des autres, surtout pas le sienne.
Plus tard, elle avait compris qu’elle pouvait écrire elle aussi, comme elle pouvait dessiner et colorier, quand la maîtresse avait demandé : "une page par jour pour dessiner et la page suivante pour écrire, tous les jours" avait elle précisé en toute évidence.
Rien ne semblait plus facile alors, dessiner puis écrire, écrire et dessiner c’est ce qu’elle fit une année entière, sans faillir, sans se lasser, bien au contraire. Dès qu’elle rentrait de l’école elle se mettait au travail ; il fallait quand même compter le temps de goûter et satisfaire les demandes pressantes de sa mère, aider à ceci ou à cela et supporter les détournements habiles des uns et des autres pour qu’elle participe à leurs jeux ou à leurs devoirs.
Ses envies de lecture elle les connut bien plus tard, elle avait alors déjà rempli des tas de cahiers de dessins et d’écriture appliquée. Ses plaisirs de lecture s’étaient affinés tandis qu’elle avait cessé d’écrire pour lire.
Lire avec l’envie d’écrire.
Elle lisait autrement, lentement pour rentrer dans la profondeur, apprendre un texte, une phrase, une formule, faire parler le texte, l’entendre murmurer, parfois laisser tomber le livre et son auteur, pas besoin de s’attarder, revenir à ce qui l’attirait, l’étonnait, la réjouissait, l’émerveillait.
Mais écrire ?
Les fautes, les ratures, les retours en arrière, les remords, les changements de temps, les inversions, les répétitions, les idées confuses, tout devait être mis à plat, contrôlé, justifié, remplacé, déplacé, affiné.
Tout faire pour la compréhension et l’équilibre du texte, son rythme et sa clarté. Passer de la pensée à l’écrit, clarifier, élaguer comme on taille un arbre qui doit porter des fruits. Entre le visible et le caché, l’écorce et la sève, il y a le temps qui passe, l’air et l’eau qui s’infiltrent, chacun joue son rôle. Les idées sommeillent et se réveillent.
Dans écrire, y aurait-il un début et une fin ? Un fil tendu ? Un retour incessant comme un cercle qui se dessine, l’infini ?
Retour de la lecture à l’écriture, de l’écriture vers la lecture.
Et la vie ?

Myriam
ECRIRE ?

Oui ! bien sûr ! sans hésiter ! mais sur quoi ? J’ai d’abord voulu écrire, sur les familles roms que je connais, une galerie de portraits fantaisistes et des parcours picaresques. Puis mon véritable désir m’est apparu comme une nécessité : Écrire sur ma famille. Une saga ? trop compliqué ! Alors des chroniques centrées chacune sur une personne de mon arbre généalogique.
Bien , mais écrire où ? D’abord sur quel support ? l’ordinateur ? impossible de confier les balbutiements de ma pensée à cet outil froid et rigide. Après des tâtonnements, j’ai enfin trouvé mon support : un maxi cahier rouge dans lequel je peux glisser des feuilles de brouillon. Et je n’écris que sur la page de droite, comme sur mes journaux de voyage, réservant la gauche pour la réécriture, les rajouts. Je collerais bien des paperolles comme Proust (excusez-moi du peu) qui rendait ses manuscrits à Gallimard avec des bouts de papiers collés dans tous les sens.
J’écris avec une gomme et un crayon, car j’aime écrire vite , au fil de ma pensée quitte à gommer des phrases entières. Quelle souplesse dans l’écriture manuscrite ! quelle présence quand on entend le frottement du crayon sur le papier ! Pourquoi ce travail artisanal ? C’est parce que j’entends les phrases se former dans ma tête, j’entends parfois les expressions et les intonations de ma grand-mère ou de ma mère qui viennent irriguer ma plume. J’entends des mots avec leur saveur, des expressions avec leur couleur, des tournures qui donnent un style populaire ou recherché, provincial ou citadin, parfois littéraire.
Maintenant, écrire dans quel lieu ? Il y a quelques mois, j’étais en phase d’écriture, j’emmenais mon grand cahier rouge partout. A Paris, en Ardèche.. .d’autant plus que lorsque le texte était arrivé à maturité, Jean le tapait à l’ordinateur. Là, le texte acquérait son aspect imprimé qui le destine à d’autres lecteurs. Je pouvais alors prendre une distance critique, je repérais des incohérences, j’apportais des précisions, je paufinais les phrases.
Écrire à quel moment ? dans quel endroit ? Plutôt le matin- par contre je tape au propre le soir- dans un lieu éclairé par la lumière du jour, dans un lieu tranquille avec devant moi suffisamment de temps. Je n’entreprends une chronique que si je sais que j’ai trois matinées pleines devant moi : une pour le premier jet, le lendemain pour la relecture et la réécriture et le troisième jour pour une lecture critique et pour taper à l’ordinateur.
Écrire seule, oui cela m’est arrivé mais j’aimais écrire en sentant la présence de Jean non loin de moi, faisant ses recherches généalogiques sur l’ordinateur ou bricolant dans la maison de Chanéac. Dans la solitude prolongée je craindrais l’angoisse insidieuse qui me pousserait de toute manière à sortir... au cinéma si je suis en ville, au jardin si je suis à Chanéac.
Pourtant, il m’est arrivé d’être saisie d’une nécessité impérieuse d’écrire. J’ai acheté un bloc et un stylomine, me suis installée dans un café inconnu près d’une grande baie donnant sur une place. Ainsi, j’étais à la fois isolée et pas seule, dans ce café où personne ne me connaissait mais en compagnie d’autres humains qui traversaient la place pour vaquer à leurs affaires.
Alors, oui, peut-être qu’écrire dans un café m’aidera...

Après cette réflexion sur l’écriture, j’ai lu un autre extrait " d’espèce d’espace" de Georges Perec, celui où il propose des pièces pour chaque jour de la semaine plutôt que des appartements standards avec des pièces qu’on occupe peu.

Marilène
Alice aime jouer à tout, à la poupée, à la balle, à l’eau, aux cartes, château de cartes, princesse, sorcière, à la trottinette, à l’intérieur comme à l’extérieur, à la dînette, au docteur avec ou sans blouse blanche mais avec tous les instruments de torture que cela exige, seringue pour la piqure, marteau pour le reflex de Pavlov, pinces, ciseaux, râpes et armes de chirurgie, thermomètre, tensiomètre, allumomètre, ventromètre, tous ustensiles issus de son imagination et mesurant la douleur humaine.
Alice est experte en tout et ne manque de rien quand il s’agit d’inventer un nouveau jeu.
Elle a essentiellement besoin de beaucoup de place, toute la maison fera donc office d’aire de jeu.
L’été de ses 4ans, toute la famille était en vacances dans la maison familiale quand elle a décidé de se lancer dans une expérience nouvellement passionnante.
Tôt, le matin, tout était calme, sa sœur dormait encore. Les parents, sortis la veille au soir, couchés tard, ne voulaient pas qu’on les dérange avant que le soleil ne frappe à la fenêtre de leur chambre (ça laissait de la marge, la chambre étant à l’ouest) !
Alice se leva donc la première, enfila sa robe de princesse rose et rayonnante, descendit discrètement les escaliers et se rendit à la cuisine. De sa baguette magique elle désigna le plan de travail, l’évier, le lave vaisselle et la plaque de cuisson et pensa très fort : "ici c’est le lavelundi ". Un joli sac à perles, précieuse relique, porté autrefois par son arrière grand mère et rempli à la va-vite, débordait de tous ses doudous hâtivement compressés.
Elle déclara : "aujourd’hui c’est lingedi, tout le monde au bain".
Prestement, elle vida toute sa marmaille, déshabilla méticuleusement tout ce qui pouvait l’être, ouvrit le lave vaisselle et le remplit : grille supérieure, pour le linge, panier à couverts pour les babioles sans nom, tout le reste à l’étage inférieur. Allongés entre les piques à assiettes, les peluches de toute nature, animaux de la ferme, chiens et chats tout doux, poupées de chiffon mollassonnes, serpents et animaux exotiques, personnages de bandes dessinées et films d’animation aux couleurs criardes et ceux qui n’avaient ni nom ni charme, tous y passèrent.
Alice réussit à fermer la porte sans faire de bruit pour ne pas réveiller les dormeurs de l’étage, appuya au hasard sur une touche de programmation qu’elle ne connaissait pas très bien et enfonça fermement la touche démarrage qu’elle connaissait parfaitement bien. Elle pensa : "pas besoin de lessive ça fait mal aux yeux, ça ira comme ça pour aujourd’hui."
Et hop la machine commença son travail matinal.
Alice retourna dans sa chambre, prit un livre et se rendormit sans tarder. Quand sa maman rentra dans la chambre un peu plus tard, le livre, fatigué lui aussi, recouvrait presque entièrement son visage d’ange, émue de la voir assoupie en telle posture, elle rangea le livre et éteignit la lampe de chevet.

Myriam
Une semaine à la boulangerie Vigne...
A la boulangerie Vigne, à Bourgoin -Jallieu, on ne chôme pas ! Marius et Antoinette Vigne tiennent une « boulangerie-café-jeu de boules »
le boulanger travaille la nuit, c’est bien connu, à minuit il se lève pour faire cuire la fournée qui sortira à 4heures du matin ensuite, il pétrit celle qui sortira au petit jour. A sept heures, il va se coucher, recru de fatigue. C’est alors que la boulangère entre en jeu. Antoinette sert les ouvrières venues acheter leur pain avant d’aller à l’usine. Plus tard viendront les ménagères celles qui ont le temps de parler , de cancaner sur les uns et les autres. La boulangère, opine, tout en restant neutre, il ne faut perdre aucune cliente !
Le mercredi est un jour de travail ordinaire, car le jour des enfants dans ces années-là était le jeudi. Justement Antoinette s’aperçoit que les chaussures sont trop petites et usées : elle dit à Marius qui vient de se réveiller :
- regarde tes petits, ils n’ont rien à se mettre aux pieds !
Alors Marius emmène ses enfants chez le meilleur chausseur de Bourgoin et leur achète de la qualité. Ils sont bien tenus, les trois enfants du boulanger : Jean, l’aîné, Paule d’un an sa cadette et le plus petit qui a six ans de moins.
Pour les chaussettes, Antoinette, fait travailler la mère Rivoire, une pauvresse qui tricote à façon. Elle n’y voit pas très bien et il y a souvent une chaussette plus courte que l’autre. Quand on lui en fait le reproche, elle les superpose et, tirant sur la plus courte , elle s’exclame : qu’est-ce qu’elles ont ces chaussettes ? elles sont bien pareilles !
La famille Contamin, c’est autre chose, trop d’enfants, trop de boisson. Le père frappe la mère et les enfants trinquent. Antoinette qui a bon cœur, leur fait de temps en temps passer un gros pain.Seule, une fille, belle comme le jour s’en sortira. Elle épousera un fils de riche famille et reviendra au quartier dans une belle voiture, du moins au début, car ensuite, le mari ne veut plus entendre parler de cette belle-famille peu reluisante.
Ce quartier de Jallieu est un quartier ouvrier, des italiens ont rejoint les dauphinois des campagnes pour travailler aux usines textiles De Diedrich. Les payes ne sont pas grosses mais quand elles tombent, on ne se prive pas, on achète brioches et croissants et on va faire la fête au café.
le vendredi est un bon jour, c’est bientôt la fin de semaine et le soir, se tiennent parfois des « Assauts de Chant » au profit d’une amicale ou d’une autre. Chacun y pousse la chansonnette, Antoinette a un joli filet de voix, on lui demande souvent sa chanson préférée et après s’être faite un peu prier, elle entonne :
« J’suis l’titi
J’suis l’gamin de Paris
Je n’ai pas de domicile
C’est l’histoire d’un poulbot qui déniche un oisillon mais le remet dans son nid, une vielle dame attendrie l’adopte... une romance à vous tirer les larmes des yeux.
Le samedi après-midi, les jeunes vont aux sociétés de gymnastique : la fraternelle est laïque et son adversaire la Paternelle est catholique. Paule qui est une belle plante envie les filles de la Fraternelle qui défilent en jupette tandis qu’elle doit défiler en jupe blanche plissée au dessous du genou !
Jean Vigne est un beau jeune homme, artiste, musicien, il a toujours une bande de garçons et filles autour de lui. Ils sortent, vont au cinéma, sans emmener la petite sœur, bien sûr !
D’ailleurs Antoinette a besoin de sa fille, le samedi soir, le café est plein, les joueurs de boules réclament à boire. Alors Paule, qui aime rendre service descend tirer le vin et court porter les pots sur les tables. Il n’y a qu’une chose qu’elle n’aime pas : servir au verre. Les clients profitent de son jeune âge pour faire remplir leur verre à ras bord.
Dans la nuit du samedi au dimanche, le boulanger redouble d’efforts : il pétrit et cuit les brioches qui sont sa spécialité. par contre, il ne fait pas la viennoiserie, qu’il laisse à son commis.
Au matin quand il termine son travail, les enfants en beaux habits du dimanche vinent le saluer avant d’aller à la messe. Moitié blagueur, moitié amer, il les gratifie d’un bon coup de sa casquette enfarinée. Les enfants protestent et s’époussettent vigoureusement. Antoinette est allée à la messe de bonne heure, pendant que la bonne tenait le magasin. C’est une petite nièce, Maria, une des filles de son beau-frère dont la femme est morte. Elle n’a pas eu de chance et Antoinette s’arrange pour la gâter.
Le lundi est plus calme, les enfants retournent à l’école et les ouvriers à l’usine.
Le Mardi est jour de congé à la boulangerie Vigne, et le patron, fier de sa voiture toute neuve, la première du quartier, emmène toute sa famille manger la friture ou l’été jusqu’à Tournon voir son frère Henri et sa femme Théo. Puis c’est le mercredi et le travail recommence.
Malgré tout ce labeur ces années de la boulangerie restent de belles années, car l’argent ne manquait pas et le boulanger était apprécié pour la qualité de son pain, la boulangère pour son aménité et les enfants bénéficiaient de la considération de leurs parents.



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