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Ecrire après Charlie Ecrire après Charlie

mercredi 14 janvier 2015 par Elisabeth

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Ecrire à partir de cette pensée de Montesquieu : "Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé."

Sabine

Grand voyage aujourd’hui. Je traverse la France en diagonale pour aller de Lyon jusqu’à une petite île perdue de Bretagne. Mes Bagages bouclés depuis hier se tiennent sagement debout devant la porte et semblent aussi impatients que moi à l’idée de partir.
Fébrile, je vérifie une fois de plus mes billets de train dans mon sac. La route sera longue. Quatre changements, je crois. Mes valises pèsent des tonnes. La veille je commande un taxi pour 7h. 45,
Excitée et pressée par cette évasion, je sors sur le trottoir bien avant l’heure dite. Il a gelé, le jour se lève à peine sur les toits blanchis par le givre. Mais qu’importe. La rue est déserte, les minutes s’écoulent. Une voiture passe… j’attends. 7h. 45, enfin. Aucun taxi à l’horizon. Il ne saurait tarder. Rien. Je commence à paniquer, j’ai soudain très chaud, je cherche mon portable dans le fouillis de mon sac, je ne le trouve pas, il est dans ma poche. Très contrariée, et même désespérée , j’appelle le taxi dont j’ai le numéro. D’une voix laconique, une femme me répond. « Il faut nous comprendre, nous sommes submergés de travail pendant les fêtes » Sans voix, je raccroche. Je n’ai pas le choix. Deux sacs sur le dos, une valise gonflée à bloc, je me mets à courir vers la bouche de métro. Nous sommes dimanche. J’attends une rame qui ne sera là que dans 8 minutes. Les minutes me semblent des heures. Je transpire, je panique. Encore un changement avec des escaliers interminables… Je vais le rater ce train, ce TGV, c’est sûr ! Mes épaules me font mal. Je n’y arriverai pas. Parcours du combattant. Je suis haletante, mon bonnet me tient trop chaud, impossible de le retirer, pas le temps !
Soudain, la voix d’un inconnu m’inonde de bien- être. » Donnez- moi votre valise ma petite dame » Un jeune homme empoigne mon fardeau et me dit « on va y arriver ». Je cours, je cours empêtrée par mes sacs, mais très soulagée, j’entre dans la gare et arrive nez à nez avec le TGV .Je saute dedans et m’écroule sur mon fauteuil.
J’oublie mon stress. Un seul regret cependant, ne pas avoir eu le temps d’exprimer ma reconnaissance à mon sauveur ! C’est l’attention d’un inconnu qui m’a réconfortée.

Myriam

Hier, j’ai appris l’affreux attentat contre Charlie Hebdo. A dix-huit heures, je suis allée place de l’Hôtel de Ville, en solidarité avec les dessinateurs assassinés. J’ai pleuré leur disparition . J’ai scandé avec les milliers de personnes présentes : Char-lie ! Char-lie ! Char-Lie ! et Puis : Liberté ! Liberté ! liberté !
Cette nuit j’ai mal dormi et ce matin, la tristesse, la colère sont toujours là, comme une boule dans la gorge, ça ne passe pas .
Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de marche n’ait dissipée.
Je m’habille chaudement par ce petit matin d’hiver, et je chausse mes baskets. Je dévale les escaliers, puis les pentes de la Croix-Rousse, cette colline des Canuts qui se sont battus pour faire entendre leur voix, « pour ne pas ’aller tout nus ». J’arrive à la place Louis Pradel, les bâtiments familiers offrent leur silhouette rassurante : A gauche l’Opéra, et ses rappeurs, mélange des cultures. A droite, l’Hôtel de Ville, beau bâtiment qui depuis le XVIIe siècle abrite les édiles lyonnais.
A grande foulée, j’avance dans la rue de la République, j’arrive au niveau de l’ancien siège du Progrès, qui abrite maintenant la FNAC. Je pense à tous ces livres, ces musiques, ces films de tout genre. Aucun ne peut être censuré pour des raisons politiques, morales ou religieuses. Il n’y a pas de censure en France.
Je traverse le pont de la Guillotière et passe sur la rive gauche du Rhône. Je me mets en petite foulée sur les berges aménagées pour la promenade. J’arrive devant le nouveau pont Raymond Barre, le soleil se lève sur cette arche à la courbe très pure, joyau du génie civil français. Sur la rive gauche, la forme serpentine de la cité scolaire internationale, où des jeunes de différentes nationalités reçoivent un enseignement en français et dans leur langue. Sur la rive droite, le nouveau Musée des Confluences . Je grimpe l’escalier monumental, accède à l’étage des collections permanentes, laissant la salle des origines pour plus tard, je traverse la salle « Espèces, la maille du vivant » on y montre l’homme comme faisant partie intégrante du monde animal... on y voit cependant qu’il a chassé certaines espèces au point de les faire disparaître. La salle suivante s’intitule : « Sociétés, le théâtre des Hommes » Je tombe en arrêt devant une petite vidéo montrant la fermeture quotidienne de la frontière entre l’Inde et le Pakistan.
De superbes jeunes hommes, choisis pour leur haute taille paradent dans leur uniforme ajusté et portent haut leur coiffure qui ressemble plus à une crête d’oiseau qu’à un képi. Soudain, ils s’élancent les uns vers les autres, en lançant la jambe en avant jusqu’au niveau de la tête. La foule hurle de contentement . Les soldats se défient du regard puis descendent les drapeaux, poignée de main, fermeture des doubles grilles. J’éclate de rire, comme c’est ridicule ! on dirait une parade de coqs. Et puis je me dis que c’est au prix de ce rituel que Le Pakistan, grand état musulman , possesseur de l’arme nucléaire , travaillée par des mouvements islamistes, et L’Inde grand pays, détenteur de l’arme nucléaire2, travaillée par des mouvements nationalistes indouistes, voisinent dans une certaine paix. Je n’ai pas le cœur à visiter la dernière salle : « Eternités, visions de l’au-delà », je monte sur la terrasse. Je suis saisie par le vent et la grandiose vision du confluent où le fleuve et la rivière mêlent leurs énormes masses d’eau, l’eau verte du Rhône se mélange à l’eau brune de la Saône et déjà elles ne font plus qu’un.

Jacqueline

Un chagrin, plus qu’un chagrin. Un grand, un immense, un noir, un profond, un sombre, un violent chagrin. Sa tante vient de mourir.
Son cœur est plein, son cœur est gros, son cœur est gonflé de chagrin. Un grand, un terrible chagrin. On pourrait dire aussi un gros chagrin, car c’est bien l’enfant en elle qui est accablé, consterné, écrasé.
Aucun mot ne peut consoler ce chagrin-là. Elle répète intérieurement « Tatie, ma Tatie est morte ». Elle sort du lit où son homme dort profondément, quitte la chambre et va se réfugier sur le canapé du salon, les écouteurs sur les oreilles.
Si personne ne peut la consoler, elle sait que la musique peut l’apaiser, la bercer. Premières mesures du concerto n°2 pour piano de Rachmaninov. Une lente série d’accords au piano qui s’élève d’abord très doucement puis de plus en plus fort avant d’éclater dans un grand mouvement dramatique où viennent se mêler les autres instruments. C’est Tatie qui lui a fait découvrir et aimer l’immense compositeur. Elle se revoit sur la terrasse enchanteresse de Terron, danser face à la mer au rythme des mouvements passionnés et puissants du grand Richter .
Elle se noie dans la musique comme on se noie dans son chagrin. Soudain, une vague immense l’emporte. Elle disjoncte. Elle a rejoint Tatie dans le néant. Il lui faudra plusieurs heures pour remonter à la surface et accepter de se confronter à la réalité de l’absence.

Mary

Quand, enfant, le chagrin me prenait, je m’échappais, je le fuyais. Point de larmes. La mine boudeuse, le front bas, la bouche close, les oreilles sourdes, je me réfugiais dans les toilettes avec des albums de bandes dessinées. Maggie avait ma préférence. Elle me transportait dans un autre univers où les filles sont espiègles, grandes, et ont des cheveux longs et blonds. Un monde joyeux, où la camaraderie est de mise et l’aventure au quotidien. Ces historiettes de midinette se sont évaporées, ne restent que la plume, la courbe parfaite et figée de la queue de cheval de Maggie, ses shorts, ses jambes longues et galbées. Le mouvement était présent dans chaque cartouche, Maggie semblait vouloir sortir de la page. Quelle énergie ! Il ne fallait pas moins d’une heure passée et repassée sur ces images venues d’outre atlantique dans un monde merveilleusement heureux pour tenter une sortie de mon antre. L’hiver, c’était le froid qui me mettait dehors. Les toilettes n’étaient pas chauffées, une pierre en hauteur sous un fenestron donnant sur une cour était mon refuge. De là, j’épiais les va-et-vient, je guettais les indices qui me permettraient de savoir que la voie était libre et que je n’encourrai pas de représailles.
Je revenais telle une petite souris. Je me glissais, me faufilais sous une table, ou dans un coin, mine de rien, ni vue ni connue. Mon chagrin m’avait quittée.
A la faveur de cet exercice de mémoire, je me surprends à constater que, plus de cinquante ans après, mes pratiques n’ont pas évolué autant que cela. Les lieux certes ont changé, c’est dans "ma" pièce que je me réfugie, à l’abri de tout contact. Je demeure en veille des mouvements extérieurs et j’attends le moment propice pour ressortir, mine de rien…
Maggie a fait place à Desproges et sa dérision m’extirpe de mes pensées funestes et me ramène à la vie. Je laisse courir ma main sur la tranche du livre, je ne suis jamais déçue, Desproges m’attend, toujours à point nommé.

Marie Noëlle

Etre plongée dans un roman, vivre avec ses personnages, à leur époque, dans leur pays, avec leur mentalité, voilà ce qui m’a toujours permis de m’évader, de prendre de la hauteur.
Adolescente je dévorais les uns après les autres tous les romans de la collection Signes de Piste. De valeureux garçons de mon âge partaient à la recherche du Graal, en Méditerranée, où s’affrontaient pirates et chevaliers de l’ordre de Malte. Allongée à plat ventre sur mon lit, j’oubliais l’ennui mortel du cours de catéchisme, le calme étouffant de notre petit appartement, l’absence d’enthousiasme des années soixante.
A la fac, je lisais Proust, son monde des fines associations d’idées, des correspondances, des métaphores, pour fuir l’enseignement poussiéreux de la philologie.
Plus tard, ce fut l’immersion dans le monde de Soljenitsyne, l’Archipel du Goulag, Le premier Cercle. Pourquoi étais-je ainsi attirée par cet univers concentrationnaire ? La force des protagonistes sans doute, leur capacité à résister, leur intelligence, la puissance de leur esprit collectif. C’était l’époque de la guerre froide, l’après 68, le règne de Mao, du petit livre rouge. Non, ce n’était pas la contrariété qui me poussait à me couler dans ces œuvres colossales et terribles mais une envie de connaître, de comprendre. Je découvrais l’Algérie socialiste et m’interrogeais sur la guerre d’Indépendance : Yves Courrière et ses Fils de La Toussaint.
Collège de Vénissieux. Il me faut une grande discipline, un surmoi fort pour être ferme et juste, pour enseigner, faire progresser ces enfants coûte que coûte. C’est dur et fort à la fois ! Et je lis et je dévore Fortune de France de Robert Merle et son héros picaresque, Pierre de Siorac. Jeune, fringant, superbe, cocasse, bon vivant, il caracole dans la France mise à sang par les guerres de religion. Vraiment ? Quelle coïncidence !
Ces dernières années les polars historiques ou étrangers captent ma curiosité, m’amusent et me font oublier les « chagrins ». Le Floch est un séduisant commissaire sous Louis XV et Louis XVI. J’aime la façon dont Jean François Parot nous plonge dans le Paris de l’époque, fait renaît la langue du XVIII, nous fait sentir, en sourdine, la venue de la Révolution.
Autres époque, autres lieux. Franck Tallis, lui, fait revivre dans ses romans policiers la Vienne de Freud et de Klimt, au moment de la naissance de la psychanalyse.
Tout ce qui est différent d’ici et maintenant, époques, lieux, mentalités, enjeux, modes de vie, me font vivre plus et mieux.
Que vais-je lire après le mercredi 7 Janvier 2015 ?

Marylène

Toute la soirée je suis restée enfermée, le cœur à rien, un poids sur la poitrine.
La nuit tombe tôt début janvier, nuit brumeuse, froide et humide ; de la fenêtre donnant sur la ville toute vie semble s’être dissoute, de rares lumières blafardes accrochées aux silhouettes des immeubles font contrastes avec les lumières du huit décembre, si joyeuses et si proches dans ma mémoire, il y a tout juste un mois !
Sur le quai, quelques voitures seulement continuent à circuler, le bruit étouffé de leur moteur comme absorbé par le brouillard et leur lenteur m’évoquent une cérémonie funéraire, corbillards aux vitres sombres, sans les fleurs.
Je suis morose. Une impression de ralentissement sans fin est rentrée dans ma tête ce matin à 11h en allumant la radio. Comme s ‘il y avait quelque chose à voir, j’ai regardé le poste avec stupeur, une vague de mélancolie sourde s’est emparée de moi quand enfin j’ai compris, de quoi, de qui, on parlait. Je suis restée figée en entendant la suite…
Ces hommes tendres et joyeux, dans mon souvenir, qui venaient de s’effondrer dans une salle de rédaction quelconque, combien étaient-ils : 4, 5, 6, 12 ? Je ne savais… mais tous, comme un seul corps dans le même temps d’une rafale meurtrière, tous dans un même attachement à leur travail, à leur art, tous jouant la dernière scène d’une tragédie aussi brève que sordide. Instantanément je me suis sentie seule comme au départ de mon amie disparue subitement il y quelques mois. Instantanément j’ai pensé : pourquoi ? …
Mon livre de chevet trainait sur la table du salon, je le regarde, son titre rouge encadré de noir sur fond crème me rassure presque, « Charlotte », je le prends entre les mains, le soupèse, le caresse, je n’ose l’ouvrir, pourquoi ? …
Une heure plus tard je suis encore dans le livre de David Foenkinos, j’ai retrouvé Charlotte…
Charb, Tignous, Cabu, Wolinski, Honoré et les autres, tous héros tragiques de ce matin gris, se profilent à chaque instant dans les pages de mon livre à côté de Charlotte Salomon.
Avec elle, comme elle, ils vont rester vivants, encore longtemps ; la mort ne tue pas ceux qu’on abat debout dans toute leur dignité… Les mitraillettes, les chambres à gaz, les couteaux et les sabres ne fracturent ni n’effacent les idées, les traits d’un pinceau ou d’un crayon sur une feuille, les couleurs d’un tableau qu’on a placé dans notre mémoire vive.

Elisabeth

Dans la journée, je n’allume jamais la télé. J’éteins la radio vers 9 heures.
Je suis restée dans l’ignorance tout ce mercredi 7 janvier.
19 heures. Je lis mes mail.
Que s’est il passé ? J’allume la télé. Je découvre le carnage.
J’entends "liberté de la presse"," liberté d’expression". C’est vrai ! c’est une atteinte à tout cela.
Ma douleur vient de l’effondrement de ma jeunesse et de mes convictions. J’avais cessé de le lire régulièrement mais je gardais pour Charlie Hebdo un grand attachement, une complicité.
Ces assassins n’ont même pas compris que ce n’était pas du prophète que les dessinateurs se moquaient mais d’eux, les faux croyants analphabètes et incultes.
Je me suis demandé : "ai-je bien lu le Coran ? " J’ai pris le livre sacré. J’y ai retrouvé toute la poésie de ma première lecture ; et surtout cette sourate qui dit que "si tu tues un homme injustement tu tues tous les hommes."
Nous avons tous été abattus par cette hérésie.
Comment Yave ou Dieu ou Allah peut-il permettre de tels crimes ?


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